Mémoire, métacognition et outils numériques

En 1913 dans une interview au « New York Dramatic Mirror » Thomas Edison a dit « les livres seront bientôt obsolètes dans les écoles. […]. Nous travaillions depuis un certain temps sur les films scolaires ». Une vision futuriste, mais pas moins réaliste de l’exploration des nouveaux outils d’apprentissages. En 2020 ce ne sont plus uniquement des supports vidéos qui sont mis à disposition des enseignants et élèves, mais également tout un nouvel environnement numérique. Qu’en aurait pensé T. Edison, précurseur à son époque ?

Ainsi face à des parents et des enseignants parfois dubitatifs quant à l’introduction du numérique dans les apprentissages scolaires et extrascolaires, il est pertinent de prendre connaissance de l’influence de ces derniers via les processus d’acquisition de connaissances et expériences métacognitives, des stratégies engendrées et la place de la mémoire dans toutes ces interactions. C’est pourquoi la question que je me suis posée est celle de savoir comment s’organisent toutes ces fonctionnalités cognitives entre elle dans le cadre d’un apprentissage par outil numérique ?

Les connaissances métacognitives s’articulent autour de trois axes : les propres capacités cognitives de la personne, les informations relatives aux « tâches » et les « stratégies » dont le but est d’améliorer ses performances. Les expériences métacognitives vont quant à elle permettre de juger l’efficacité des stratégies et des processus liés à l’activité donnée. Sous l’angle du « mille feuilles » des stratégies d’apprentissages, les outils numériques vont solliciter un apprentissage actif, constructif ou encore dit « auto-régulé ». Ce dernier va contribuer à contrôler la cognition des apprenants notamment en fonction de leurs buts (Pintrich, 2000). De fait, ce type d’apprentissage va impliquer le développement de différentes stratégies chez le même élève. En ce sens la métacognition va lui permettre de s’organiser et de s’adapter, pendant que les stratégies mises en place « prédisent un meilleur ancrage en mémoire des connaissances » (Amadieu et Tricot, 2014).

La plus-value de l’environnement numérique repose notamment sur les animations interactives. « Elles sont supposées aider à l’apprentissage d’informations dynamiques pour lesquelles il est difficile de se construire une représentation mentale à partir des textes et d’images fixes » (Amadieu et Tricot, 2014). Même si ces tâches d’apprentissage sollicitent la génération de contenus et donc participent à une profondeur de traitement plus importante des informations (accumulation de différentes représentations de la même information), elles ont également des limites. En effet, les informations « dynamiques » issues des animations nécessitent des habiletés cognitives complexes. L’élève doit sélectionner les informations pertinentes et les organiser, de façon à établir des associations structurées. Se pose donc la question de la mobilisation de la mémoire de travail. Avec différentes formes de codages ces informations sont restent affichées que temporairement car elles fonctionnent par roulement. Dans ce contexte la mémoire de travail se voit rapidement saturée par l’afflux de ces informations. Pour éviter cet engorgement, il est conseillé d’utiliser le même principe qu’en pédagogie classique, à savoir orienter l’attention de l’élève vers les éléments les plus pertinents, ainsi que de limiter le nombre d’informations lors d’un visionnage.

Ainsi en prenant en compte l’impact des connaissances métacognitives qui reposent sur trois axes fondamentaux il est nécessaire de s’appuyer sur un scénario pédagogique solide : avec un objectif d’apprentissage de connaissance, des tâches pratiques – qui participe à la motivation de l’élève, des supports variés (image, texte, vidéo) et une évaluation. L’apprentissage actif développe l’autonomie et l’autorégulation, cependant l’enseignants doit être en capacité d’accompagner l’élève étape par étape et d’apporter du feedback immédiat. Proposer des animations interactives avec un grand nombre d’aller-retour d’une seule information séquentielle via différents modes (image, son, vidéo, texte…) permettrait d’encoder l’information en mémoire de travail sans la saturer, de mettre en place des stratégies de récupération et de stockage à long terme. Des modèles connus en psychologie de l’éducation (le modèle de Baddeley, Allen & Hitch (2011)) illustre schématiquement le propos : l’élève mobilise successivement une boucle phonologique, les capacités visuo-spatial et la combinaison de plusieurs éléments sous la direction du Centre Exécutif.

La capacité d’encodage va influencer le stockage des informations et la qualité du stockage va impacter la récupération ultérieure de ces informations. De ce fait, nous pouvons conclure que les stratégies de mémorisation, la métamoire, les capacités mnésiques, et les performances sont en interaction et participent au développement et à la consolidation des apprentissages. Mais d’autres facteurs sont à prendre en compte comme le type d’enseignement. C’est donc à ce niveau que les outils numériques apportent toute leur utilité. Un mixte de pédagogie classique, afin d’apporter des connaissances dites de base, et innovation numérique pour développer et fixer des notions habituellement abstraites peut être un outil intéressant à construire au sein des écoles.

Bibliographie

Amadieut, F., et Tricot, A. (2014), Apprendre avec le numérique : Mythes et réalités, Paris, France : Restz

Bosson, M., Hessels, M., et Hessels-Schlatter, C. (2009), Le développement des stratégies cognitives et métacognitives chez des élèves en difficulté d’apprentissage, Développement, n°1, p.14-20

Frenkel, S. (2014), Composantes métacognitives : définitions et outils d’évaluation, Enfance, n°4, p. 427 -457

Le Berre, A., Eustache, F., et Beauniaux, H. (2009), La métamémoire : Théorie et Clinique, Revue de neuropsychologie, n°1, p.312-320

Le Gall, D., Besnard, J., Havet, V., Pinon, K., et Allain, P. (2009), Contrôle executif, cognition sociale, émotions et métacognition, Revue de Neuropsychologie, n°1, p. 24-33

Lieury, A. (2011), Mémoire et apprentissage, In Carré, P., et al, in Traité des sciences et des techniques de la formation, Psycho Sup, Dunod, p. 249-267

Pintrich, P.R. (2000), The role of goal orientation in self-regulated learning, In M., Boekaerts, P. R., Pintrich, & M., Zeidner (Eds.), The Handbook of Self-Regulation : Theory, Research and Applications, San Diego : Academic Press, p. 451-502