Compétence émotionnelle et régulation des émotions

Dans les années 1990 le terme d’Intelligence Emotionnelle[1] a intéressé particulièrement le domaine de la recherche. Associée à la capacité d’identifier, analyser et gérer ses propres émotions, mais également celles des autres, elle participe à la construction dite « intellectuelle » de l’individu. Le choix de cette définition n’est pas anodin, puisqu’il met en perspective la notion « d’émotions » et de « régulation » de ces derniers, ce qui permet de poser la question de la construction et du développement de cette « intelligence du cœur » (Filliozat, 1997). En 2014 dans ses travaux Moira Mikolajczak souligne qu’un véritable « marché des émotions » s’est développé et cela particulièrement depuis les années 2000 dans le monde professionnel. Sous le terme de « compétences émotionnelles » de nombreux livres et tests de positionnement proposent un accompagnement dans le recrutement de profils correspondant à un idéal de « savoir – être ».

Alors qu’est-ce qu’une émotion ?

Il arrive qu’à une question simple, nous disposons de réponses complexes. La multitude de théories enrichit les possibilités, cependant nous faisons volontairement le choix de démarrer notre réflexion sur une perspective développementale. Charles Darwin (1872) a démontré le caractère inné et universel des émotions. Elles seraient une propriété du vivant, nécessaire à la survie, en disposant d’un mécanisme de préparation à l’action permettant de réagir face à une menace.

Au-delà de leurs fonctions adaptatives à l’environnement elles sont également source d’informations, étant de ce fait au service de la communication. Ainsi les émotions sont nécessaires à notre pensée, à la planification de nos actions et à la prise de décision. Selon les références nous avons 5 ou 6 émotions de bases. Ces émotions dites « primaires » semblent préprogrammées, et celles qui sont retenues le plus souvent sont : la joie, la peur, la colère, le dégout, la tristesse et la surprise.

L’émotion est porteuse d’un message, ainsi chez le jeune enfant elles se distribuent entre un pôle négatif (un obstacle entrave l’atteinte d’un objectif) et un pôle positif (l’objectif pourra être atteint). Par le biais des pleurs et des cris l’enfant en bas âge manifeste son insatisfaction en activant ses réseaux neuronaux d’alerte dans son système nerveux en maturation. Ainsi en fonction du modèle d’attachement qu’emploi la figure d’attachement la qualité de ce dernier à une influence sur la modulation des premières émotions d’enfants et sur la différentiation de plus en plus fines de leurs ressentis

C’est donc lorsque ces fondations sont ancrées que la naissance des émotions secondaires intervient. « Les émotions sociales[2] vont orienter vers un équilibre plus ou moins réussi entre la prise en compte du bien-être de soi-même et la prise en compte du bien-être d’autrui, ainsi que la prise en compte des attentes d’autrui en ce qui concerne notre comportement à son égard. » (Delage, 2015). Leur régulation est volontaire, consciente et demande un apprentissage.

Selon Filliozat (1999) « l’émotion est le mouvement de la vie en soi. C’est un mouvement qui part de l’intérieur et s’exprime à l’extérieur ». Cette définition quelque peu spirituelle rejoint sous certains aspects une vision scientifique pour laquelle l’émotion est une réponse à un stimulus, après une phase d’évaluation cognitive. Cependant, si ce « mouvement » s’exprime à l’extérieur, comment cela se passe-t-il ? Pouvons-nous tout verbaliser et partager avec notre environnement ? Quels regards portent les autres sur les enfants exprimant leur colère dans les galeries des magasins ? Pouvons –nous taper du pied devant le bureau de notre hiérarchique afin d’exprimer le souhait d’obtenir une augmentation ou pleurer et s’arracher les cheveux afin d’avoir un jour supplémentaire de congé ?

La régulation des émotions

La capacité à réguler le niveau de réactivité se situe dans le cortex préfrontal, qui est le principal centre de contrôle des émotions.

Le développement du cerveau débute dès la vie intra-utérine et les dernière structures cérébrales à devenir matures sont les lobes temporaux puis frontaux et atteignent leur plein développement vers l’âge de 16/17 ans.

Tant que le cerveau n’a pas atteint sa pleine maturité, le processus de gestion des émotions, des affects ne sont pas totalement fonctionnels. Cela explique les difficultés de l’enfant pour contrôler, maîtriser ses réactions émotionnelles. Les expériences que vit l’enfant ont un impact sur le développement de son cerveau et influence ses réactions psycho affectives et sociales lorsqu’il est enfant mais également à l’âge adulte. L’enfant va donc réagir spontanément, sans avoir la capacité à prendre du recul et à maîtriser ses émotions. Souvent d’ailleurs, il ne comprend pas lui-même ce qui lui arrive. Ainsi la régulation émotionnelle repose sur l’ensemble des processus par lesquels l’individu va modifier ses émotions par exemple le type, l’intensité ou encore sa durée. Afin de pouvoir volontairement réguler nos émotions il est nécessaire de savoir identifier ses propres émotions et celles d’autrui, les comprendre et les mettre en mots (les exprimer).

Les études démontrent que le déficit de l’identification et l’expression des émotions a un impact au niveau de la santé mentale (plus de risque de tomber en dépression), psychologique (développement de pathologies comme l’hypocondrie, troubles alimentaires…) et physique (augmentation du risque de l’hypertension). La capacité à identifier les émotions d’autrui est indispensable dans les échanges interpersonnels et dans le cadre de l’adaptation sociale. Dès le plus jeune âge la capacité à décoder les émotions des autres, permet ainsi de développer des relations amicales et renforcer les liens sociaux. Cette identification ne passe pas uniquement par les informations verbales, mais elle repose également sur une communication non verbale : les expressions faciales, le regard[3], les postures et les gestes. Ecouter les émotions de l’autre, mais également exprimer ses propres émotions verbalement permet de partager son état. Cela passe par un apprentissage, puisque l’enfant apprend progressivement ce qui est acceptable dans un contexte social et ce qu’il doit réprimer.

De manière générale les émotions non régulées ont des effets délétères sur les relations sociales (moins de relations sociales, moins d’amis, plus de relation conflictuelle) mais également sur les performances scolaires ou professionnelles.

L’éducation émotionnelle

La régulation des émotions est un apprentissage quotidien des enfants. Une majorité de situations rencontrées fournissent un terrain d’exploration et de construction d’outils, afin de maîtriser ses émotions et répondre aux normes sociales. Ainsi, l’éducation émotionnelle est l’affaire de tout éducateur et s’enseigne à tout moment. Elle requiert néanmoins un rythme et la continuité. C’est pourquoi il s’agit d’un accompagnement dans la durée. Les sessions (jeux, cercle de parole, activité artistique, physique, l’écriture, la parole…) devraient durer entre trente et soixante minutes, cependant quel que soit le temps disponible, assurez-vous de prévoir un programme qui équilibre temps de jeu et de rire avec un temps de partage, d’exploration des apprentissages recherchés.

Pour chaque jeu, donnez des instructions simples, claires, concises. Restez flexibles et toujours prêts à ajuster la situation. Il s’agit toujours de guider un processus d’apprentissage plutôt que de donner des informations, ainsi explorez le « comment tu fais ça ? », « que fais-tu exactement ? », « pourquoi tu fais ça ? ». Invitez au partage, sans forcer à prendre la parole.

Pour conclure nous vous proposons un échantillon d’activité simple et amusante :

Notre coup de cœur pour les familles ce sont les Emoticartes qui permettent de jouer et repérer ses émotions, les nommer avec une échelle d’intensité et trouver des solutions pour les réguler. L’avantage réside non seulement dans le contenu des cartes, mais également dans la possibilité de regarder des vidéos ludiques !

Bibliographie

Damasio, A. R. (1995). L’erreur de descartes. La raison des émotions. Paris: Odile Jacob.

Darwin, C. (2016). L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux. Paris: Payot & Rivages.

Delage, M. (2015). Les émotions au coeur de l’homme. Dans B. Cyrulnik, Comment fonctionnent nos émotions ? Savigny-sur-Orge: Philippe Duval.

Filliozat, I. (1999). Au coeur des émotions de l’enfant. Vanves: JC Lattes.

Gueguen, C. (2014). Pour une enfance heureuse. Paris: Robert Lafont.

Mikolajczak, M. (2014). Introduction à la régulation des émotions. Dans M. Mikolajczak, J. Quoidbach, I. Kotsu, & D. Nélis, Les compétences émotionnelles. Malakoff: Dunod.

[1] Le terme de compétence émotionnelle avait été utilisé par des auteurs tels que Leuner (1966), Payne (1986), Greenspan (1989), toutefois c’est Salovey et Mayer (1990) qui ont proposé une définition centrée sur la capacité du sujet à raisonner sur les émotions.

[2] Selon Delage et Cyrulnik (2015) les émotions sociales dites secondaires ou complexes naissent grâce à l’accession à la conscience de soi.

[3] Le regard indiquerait l’intensité de l’émotion et pas sa nature (Argyle et Cook, 1976).